Philippe Starck soutient que copier, c’est saluer le génie des autres ; Dieter Rams, lui, y voit une trahison pure et simple. Entre ces deux visions radicalement opposées, les débats sur ce qui relève de l’innovation ou de l’imitation font rage, des bancs du Bauhaus jusqu’aux ateliers d’Eindhoven.
Des créateurs œuvrent dans l’ombre, leurs objets peuplent pourtant nos vies. D’autres, à force d’audace ou de médiatisation, deviennent des références. Pourtant, les palmarès internationaux se révèlent incapables de figer une hiérarchie durable. La célébrité ne garantit pas l’impact, ni sur les usages, ni sur les mentalités.
Le design, un art en perpétuelle évolution
Depuis le début du XXe siècle, le design moderne bouscule les codes établis. Sa force ? L’alliance subtile de la fonction et de la forme, avec cette envie constante d’inventer sans renier l’utilité. Le modernisme, d’abord, impose des lignes franches, épurées, qui refusent l’ornement gratuit. Puis vient l’Art déco, où la géométrie règne et où les matériaux précieux affirment leur présence. Plus tard, le minimalisme taille dans le vif, tandis que le maximalisme ose la profusion, puise dans la culture populaire et multiplie les références.
Le design d’intérieur contemporain refuse aujourd’hui de choisir entre passé et présent. À Paris comme à Milan, les créateurs réinventent les classiques, jouent avec les formes organiques, mêlent les couleurs vives, fusionnent les cultures et cherchent à rendre chaque espace accessible et durable. Les frontières s’effacent, l’architecture s’ouvre, le mobilier se transforme.
Voici quelques courants majeurs qui structurent cette histoire :
- Le modernisme : sobriété et fonctionnalité, sans concession.
- L’Art déco : symétrie et raffinement, matériaux choisis.
- Le minimalisme : pureté, dépouillement, efficacité visuelle.
- Le maximalisme : foisonnement, couleurs franches, liberté assumée.
La création d’aujourd’hui s’inscrit dans ce mouvement permanent. Les enjeux environnementaux s’imposent, de nouveaux matériaux surgissent, la fonction sociale de l’objet interroge. Les designers français et internationaux ne cessent de dialoguer avec le passé tout en traçant de nouveaux horizons.
Quels créateurs ont marqué l’histoire du design ?
Dans le panthéon du design, certains noms résonnent au-delà des frontières et des décennies. Coco Chanel, en bouleversant la mode féminine, a imposé la simplicité comme signe d’élégance et de liberté. Dieter Rams, pilier de Braun, énonce dix commandements du design industriel et inspire, des décennies plus tard, les interfaces des produits Apple. Philippe Starck, lui, fait entrer le design dans tous les foyers : presse-agrumes Juicy Salif, chaise Louis Ghost… Ses objets provoquent, séduisent, démocratisent la création.
Mais l’histoire ne s’écrit pas qu’au grand jour. Paul Rand, maître du design graphique, façonne l’identité des géants comme IBM ou UPS. Charles et Ray Eames, couple mythique, imaginent un design moderne chaleureux, innovant, où la technique s’efface derrière le confort et la poésie. Leurs sièges pour Herman Miller ou Vitra incarnent cette alchimie rare.
Architecture et espace : le design au service de la vie
Frank Gehry, avec le musée Guggenheim de Bilbao, ou Zaha Hadid, première femme décorée par le prix Pritzker, démontrent combien l’architecture relève d’un design à grande échelle. Le Corbusier, Frank Lloyd Wright, Jean Nouvel, Alvar Aalto : tous ont réinventé notre rapport à l’espace, au mobilier, à la lumière. Parmi eux, Charlotte Perriand, Gae Aulenti, Patricia Urquiola ou India Mahdavi imposent aussi la vision des créatrices, de la montagne à la ville, du quotidien à l’extraordinaire.
Portraits croisés de designers visionnaires et de leurs œuvres emblématiques
Le design mondial s’incarne dans des figures dont les réalisations ont transformé nos environnements. Coco Chanel impose la petite robe noire, le tailleur et le N°5 comme symboles de liberté et d’élégance. Dieter Rams, chez Braun, formalise dix règles du « bon design », inspire les lignes d’Apple et prône une simplicité qui influence toujours les objets quotidiens.
Charles et Ray Eames, eux, révolutionnent le mobilier : fauteuils pour Vitra, chaises pour Herman Miller, leur vision humaniste et technique redéfinit le confort. Philippe Starck secoue la scène française avec la chaise Louis Ghost ou le presse-agrumes Juicy Salif, rendant le design aussi accessible qu’audacieux.
Côté architecture, Zaha Hadid déstructure l’espace avec le Centre aquatique de Londres ou l’Opéra de Guangzhou. Frank Gehry invente une nouvelle monumentalité, du Guggenheim de Bilbao à la Fondation Louis Vuitton.
Dans le champ visuel, Paula Scher transforme l’image de The Public Theater. Charlotte Perriand imagine des refuges de montagne, pensés pour le collectif et l’environnement. India Mahdavi, avec ses couleurs franches, impose une signature où douceur et audace se rencontrent.
Quelques exemples de designers et de leurs créations phares :
- Gae Aulenti : la lampe Pipistrello, synthèse de l’avant-garde italienne.
- Paul Rand : logos IBM, ABC, UPS, l’empreinte du design graphique sur l’identité mondiale.
- Patricia Urquiola : dirige Cassina, invente un mobilier qui bouscule les codes.
Des trajectoires multiples, des supports variés, des territoires sans cesse redéfinis : voilà ce qui fait du design un art qui ne cesse de se réinventer.
Explorer de nouveaux talents : vers qui se tourner aujourd’hui ?
Le dynamisme du design contemporain se mesure à l’ébullition des studios et collectifs. À Kyiv, Makhno propose des intérieurs où le wabi-sabi, cette philosophie japonaise de la beauté imparfaite, dialogue avec la lumière et la matière brute. Ce studio ukrainien, loin des recettes mondialisées, tisse un lien entre tradition artisanale et modernité.
À Paris, Sammode rend hommage à Pierre Guariche en relançant ses luminaires et milite pour une réédition exigeante : préserver le patrimoine du design français en l’ancrant dans l’innovation technique. Cet engagement dépasse la simple reproduction : il s’agit de transmettre un héritage tout en l’ouvrant à de nouveaux usages.
Les maisons historiques n’ont rien perdu de leur créativité. Cassina, portée par Patricia Urquiola, multiplie les collaborations entre designers et architectes d’intérieur. Pentagram, à New York, construit l’identité visuelle de géants comme Nike ou Microsoft, conjuguant design graphique et stratégie de marque. En Bohême, Sans Souci réinvente le verre de luxe avec des installations monumentales, un jeu de couleurs et une virtuosité technique rare.
Le paysage international est également marqué par une génération hybride, à la frontière de l’architecture, du mobilier et de l’artisanat. Les collaborations entre Vitra, Herman Miller et des talents émergents illustrent cette dynamique. Le design d’intérieur se nourrit d’enjeux écologiques, de métissage culturel et d’une volonté d’élargir l’accès au beau, pour réinventer nos espaces et nos vies.
À l’heure où chaque objet peut devenir symbole, la question du plus grand artiste du design reste ouverte. Qui, demain, fera basculer nos repères et changera la façon dont le monde s’assied, s’éclaire ou se raconte ?


